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18 octobre 2006

Islam et laicite

« Questions à la Une » (RTBF) en question: Jusqu’où peut-on aller au nom de la laïcité?

par Laurent Arnauts    

Monday, 16 October 2006

ImageMercredi 11 octobre dernier, l’excellente émission « Questions à la Une » de la RTBF s’attaquait à son tour au nouveau marronnier des médias : le fondamentalisme islamique. Du moins, c’est ce qu’on pouvait croire en fonction du titre de cette semaine-là: « Jusqu’où peut-on aller au nom de l’Islam ? » Au bout du compte, c’est cependant un tout autre menu qui a été servi au téléspectateur, où l’amalgame le disputait au préjugé pour stigmatiser la pratique de la religion musulmane en général. Est-ce qu’au nom d’une laïcité de combat – parfaitement acceptable voire souhaitable – certains se permettent de flirter avec les thèses et les méthodes de l’extrême droite ? Ce ne serait hélas pas la première fois qu’on découvrirait un enfer pavé de bons sentiments... un peu néocolonialistes ?

Autant le dire d’emblée, l’indignation face à cette dernière livraison de « Questions à la Une » est à la mesure de l’approbation – voire l’admiration – que cette émission suscite d’habitude. Malgré les limites inhérentes à la formule, elle parvient en effet chaque semaine à produire un bel échantillon de journalisme d’investigation, que ce soit sur des sujets d’actualité ou non. En l’occurrence elle a peut-être essayé de faire elle-même l’actualité, mais c’est plutôt raté : sur la question de départ, à savoir le fondamentalisme islamique, on n’apprend rien – mais alors rien- de neuf dans le reportage signé par Marianne Klaric. Ce qu’on découvre en revanche, c’est l’étendue peu commune des préjugés dont fait étalage la réalisatrice, qui semblent pour la plupart dater de l’époque de Roger Nols. C’est dire s’ils sont rancis.

Qu’on en juge. Le ton est en effet donné par ce constat lâché gravement en déambulant devant la caméra, comme le veut le format de l’émission : « Alors que leurs parents voulaient s’intégrer, ces jeunes (d’origine maghrébine, ndlr) refusent de s’assimiler ». Auparavant la journaliste avait en effet demandé tout à trac à un libraire musulman barbu et surtout interloqué: « Vous auriez pu devenir un Belge complètement assimilé, pourquoi ce retour aux sources ? » Marianne Klaric semble ignorer que depuis que la société belge démocratique – à l’exception donc de l’extrême droite – a embrassé l’idée de devenir multiculturelle, l’exigence ou la promotion de l’assimilation de tous à un modèle culturel dominant est abandonnée. Ce qui est bien le moins dans un pays qui a inscrit comme nul autre la multiculturalité dans ses textes constitutionnels (sous le vocable de « communauté »).

On pourrait penser qu’il ne s’agit là que d’un abus de langage, l’usage malheureux d’un terme tombé en désuétude, par une personne qui n’aurait pas suivi les évolutions sociopolitiques de notre pays de ces vingt dernières années. Il n’en est rien. L’entièreté du reportage est du même tonneau, et surtout sa conclusion, par la bouche de la sénatrice flamande Mimount Bousakla (SP.A), qui assène : « En Belgique on reçoit des allocations familiales pour les enfants, des allocations de chômage quand on n’a pas de travail... tout cela n’existe pas dans les pays arabes non démocratiques. Ceux qui ne sont pas contents de la Belgique, ils n’ont qu’à partir ! » Est-ce un hasard si c’est là le cliché favori et la traduction presque littérale du slogan du Vlaams Blok/Belang : « Aanpassen of opkrassen », s’adapter ou déguerpir ? Peut-être pas. Mme Bousakla, fort marquée par une éducation religieuse intolérante dans son enfance, qu’elle souhaite à juste titre conjurer dans la société, est parfois emportée par son élan. Ainsi, le soir des élections du 8 octobre, elle avait provoqué l’ébahissement d’un plateau de télévision flamand en soutenant crânement qu’il fallait « discuter avec tout le monde, y compris le Vlaams Belang ». Ce coup de grâce au cordon sanitaire ne doit qu’à la défaite-surprise du parti raciste à Anvers de s’être perdu dans le brouhaha postélectoral.

L’aboutissement de ce principe selon lequel les personnes d’origine étrangère et plus particulièrement les musulmans, fussent-ils nés belges, n’auraient qu’à « la fermer » et « s’adapter », n’est autre que la création d’une citoyenneté de deuxième rang. Seuls les Belges « de souche », chrétiens ou laïques, auraient le droit de critiquer la société et donc d’influer sur son évolution. Il faut noter que cette forme raffinée d’apartheid politique – qui ne viendrait que s’ajouter à l’apartheid socio-économique existant- est exactement celui professé par le Vlaams Blok/Belang, lorsqu’il minimise sa relative défaite aux communales en l’imputant à l’influence du contingent de votants « nouveaux belges ». Ce subtil distinguo en apparence compliqué porte un nom plutôt simple : le racisme.

Voilà en quoi ce reportage véhicule la thèse fondatrice de l’extrême droite – ce qui explique l’émoi qu’il a provoqué dans la communauté musulmane en particulier et dans la population d’origine immigrée en général (voir interviews ci-après). Ce n’est hélas pas tout : pour mieux stigmatiser les comportements qui, dans l’esprit de certains, doivent être éradiqués dans un processus d’assimilation, il est recouru à des exagérations et à des amalgames que l’extrême droite ne renierait pas non plus. On ne sait par où commencer tant les exemples abondent. Cela commence par une visite à une sortie de mosquée, dont les fidèles demandent de ne pas être filmés et refusent de parler à la caméra. L’un d’entre eux finit tout de même par se dévouer, pour expliquer leur malaise d’être perpétuellement associés au terrorisme dans les médias depuis les attentats du 11 septembre. Dans le reportage, on a droit à un fondu enchaîné sur une longue séquence montrant les Twin Towers qui s’effondrent et les secours qui s’activent autour des victimes...

Ce type d’amalgame, par lequel on associe visuellement ou séquentiellement des choses qui en réalité n’entretiennent pas de lien démontrable ou démontré, est pratiqué à de multiples reprises. On rappelle ainsi que des kamikazes sont passés par une « centre islamique » extrémiste de Bruxelles, que les services de renseignement n’ont pas les moyens de surveiller les activités des extrémistes islamistes dans notre pays, etc. Dans ce contexte et sans autre explication, on doit comprendre que la revendication de la fourniture de nourriture hallal (dont la viande est issue d’animaux tués rituellement) dans certaines écoles publiques de la capitale est une dangereuse manifestation d’intégrisme. Même chose pour le foulard, qualifié plus explicitement « d’outil n°1 de la propagande islamiste » ou encore « d’instrument de la soumission de la femme » par l’antropologue Malek Chebel, qui n’a sans doute pas vu à l’oeuvre, de France où on est allé l’interviewer (tiens, il n’y a pas de spécialistes en Belgique?), la jeune Nabela Benaïssa et sa famille au temps où la Belgique était au bord de l’émeute.

Dans une boutique qui vend aussi des livres pieux, la journaliste commente ainsi les rayonnages de djellabas et autres babouches : « pour s’habiller comme à l’époque du prophète, tout y est ». Il faut croire qu’elle n’a pas beaucoup voyagé : la djellaba est encore en usage courant du Maghreb au Moyen-Orient. Et elle constitue l’habit traditionnel de la plupart les cérémonies familiales importantes, y compris dans notre pays. Même si certains portent ce vêtement en raison d’un sentiment religieux, est-ce pendable ? Dans cette même boutique, la reporter pousse encore plus loin ses investigations façon « Le jardin extraordinaire ». Elle entreprend en effet, caméra au poing, de toucher un vendeur, lequel se rebiffe poliment mais fermement, expliquant que sa religion lui interdit de toucher ou d’être touché par une femme qui n’est pas une parente. Ceci est certes la manifestation d’une lecture ultra-orthodoxe de l’Islam, mais était-il pour autant indispensable d’en faire la démonstration par l’expérimentation, comme s’il s’agissait d’une curiosité zoologique ? Ne suffisait-il pas de poser la question ? N’existe-t-il pas quelque-chose comme le droit à la dignité, qui fait que l’on ne doit pas nécessairement accepter de subir les attouchements d’un inconnu, a fortiori agressivement, avec une caméra ? Cette attitude et ses présupposés dégage comme un fumet de néocolonialisme...

Si l’on ajoute à tout cela la séquence où l’on accuse le présidents de la Ligue des imams de Belgique d’ « attiser la haine » parce qu’il évoque le problème israélo-palestinien dans un prêche, ou celle où le professeur de religion islamique Yacub Mahi est qualifié « d’intégriste selon les services de renseignement », sans autre preuve ni précision qu’une citation tronquée issue de son site internet, par laquelle on lui fait dire qu’il est partisan d’une peine de cent coups de bâton en cas d’adultère (ce qui est risible connaissant le personnage)... Le tableau est aussi apocalyptique que mal étayé. Et en définitive, l’impression générale qui se dégage de ce salmigondis est que certaines pratiques pourtant bénignes de la religion musulmane constituent, en soi, un intégrisme, et le marchepied vers le terrorisme. Sans que ce lien de cause à effet ait donné lieu à ne fut-ce qu’un début de démonstration.

Entendons-nous. On a le droit de critiquer l’Islam et ses pratiques, ou celles qui lui sont attribuées – c’est de bonne guerre et les musulmans eux-mêmes ne se privent pas de critiquer eux aussi le monde qui les entoure. On a même le devoir de combattre vigoureusement le véritable extrémisme (qui consiste à empiéter sur la liberté d’autrui). Le JDM y concourt d’ailleurs régulièrement en essayant de susciter le débat (ou en dénonçant, parmi les premiers, des extrémistes comme le « cheikh Bassam »). Mais encore faut-il le faire à la régulière. Ici, le but ne semble pas être de dénoncer les extrémistes, mais plutôt de stigmatiser les musulmans pratiquants en suggérant qu’ils entretiennent une proximité étroite avec l’extrémisme (et donc le terrorisme) dès qu’ils sont trop « visibles », c’est à dire moins « assimilés ». Il y a donc lieu de suspecter derrière ce travail, qui n’a évidemment pas vocation à toucher les musulmans mais veut surtout « faire peur » à la population non-musulmane, un autre agenda. Celui déjà esquissé par le candidat malheureux à la présidence du Centre d’Action Laïque, Chemsi Cheref-Khan (voir nos précédentes éditions), qui est aussi l’un des deux seuls intellectuels interviewés dans le reportage : ressouder un « camp » laïque en manque de repères, puisqu’au moment où il bénéficie enfin de la manne publique, l’affaiblissement de l’Eglise catholique le prive de son adversaire de toujours. Désolé, mais tous les laïques ne mangent pas de ce pain-là.
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